On a parcouru le chemin
Exit Kamurocho… Bonjour Kyo !
Entre deux épisodes de la série principale de Like a Dragon (anciennement Yakuza par chez nous), le studio Ryu ga Gotoku avait auparavant enfanté deux titres spin-off remontant un peu le temps en plaçant ses personnages iconiques dans la peau de véritables célébrités de l’époque. Il y avait d’abord eu Ryu ga Gotoku Kenzan!, sorti exclusivement sur PlayStation 3 en 2008 et jamais exporté officiellement en dehors du marché japonais ; Kiryu prenait alors le rôle de « Kiryu Kazumanosuke », alias in game du fameux Miyamoto Musashi, l’action se passant au 17è siècle à Kyo (ancien nom de Kyoto). Il était question il y a quelques années de faire un remake façon Kiwami de ce premier volet « historique » et de l’exporter à l’international comme la série canonique, mais ce projet ne s’est jamais concrétisé. En 2014, c’était au tour de Ryu ga Gotoku Ishin! de sortir sur PlayStation 3 et PlayStation 4, là encore uniquement au Japon. C’était avant le rebond de la série principale à l’international avec Yakuza 0 et les remakes Kiwami qui ont clairement amené la série sur le devant de la scène pour lui trouver un nouveau public (dont moi, j’avoue). Ishin! prend cette fois place dans une autre période historique majeure du Japon, le bakumatsu : la période d’une quinzaine d’années du milieu du 19è siècle ayant conduit à la fin du shogunat Tokugawa (ou bakufu d’Edo) et le début de l’ère Meiji voyant l’émergence du gouvernement du même nom. C’est aussi la fin de la politique isolationniste du Japon, le sakoku, qui entre autres empêchait tout départ ou retour d’un Japonais sous peine de mort et provoquait l’expulsion de tout étranger et destruction de bateaux de haute mer, militaires ou non.
Un 1vs1 à l’ancienne
Le bakumatsu a été une période de changements majeurs dans l’archipel et il n’est pas étonnant d’avoir eu profusion d’œuvres ayant directement ou indirectement fait référence à celui-ci, et donc Ryu ga Gotoku n’a pas fait exception. Et contrairement à Kenzan!, Ishin! a finalement été choisi pour l’exportation avec moult traductions pour le bonheur des joueurs en manque de Kiryu, avant la déferlante Like a Dragon Gaiden: The Man Who Erased His Name cette année et Like a Dragon 8 l’an prochain. Plus de Kiryu pour plus de bonheur ! On retrouve donc le Dragon de Dojima qui va prêter cette fois ses traits à Sakamoto Ryoma, qui était historiquement un des dirigeants du mouvement visant à renverser le shogunat Tokugawa. Samouraï de basse extraction né à Tosa, Kiryu/Ryoma est entraîné par son père adoptif Yoshida Toyo et son ami d’enfance et frère spirituel Takechi Hanpeita dans le mouvement du Kinno-To pour renverser le shogunat et restaurer le pouvoir de l’Empereur du Japon. Seulement, après le meurtre de Yoshida Toyo par un mystérieux individu, Ryoma se fait passer pour mort et s’exile à Kyo en endossant la responsabilité du meurtre pour que son frère en soit blanchi. C’est ainsi qu’il se renomme Hajime Saito (oui, encore un nom très connu) pour enquêter sans être inquiété sur le meurtrier de son père, avec pour seule piste son art martial assez particulier. Il est convaincu de pouvoir le retrouver s’il venait à l’affronter de nouveau, une sorte de Cendrillon version hardcore.
C’est faux ! Je sais que tu t’appelles Majima !
On t’a reconnu Akiyama
On a souffert en silence
L’entrée de Ryoma au Shinsen
Gumi
Nos premiers pas en samouraï se font donc à Tosa pour se familiariser un peu avec ce nouvel environnement bien lointain des rues sales de Kamurocho, avant d’enchaîner vers la ville de Kyo dans laquelle on peut se balader dans plusieurs petits quartiers : Fushimi où Saito passe le plus clair de son temps, dormant à l’auberge Teradaya ; Gion le quartier aux plaisirs ; Rakunai le quartier dynamique ; Rakugai le quartier désert (et dont on se demande pourquoi c’est là) ; Mukurogai le taudis des parias, et enfin les quartiers du Shinsen Gumi que Saito ne tarde pas à infiltrer à la recherche de l’assassin de son père. Car il se trouve opportunément que tous les samouraïs maîtrisant l’art martial repéré par Saito sont des capitaines du Shinsen Gumi…
Et on est parti pour quatorze chapitres au total d’action-aventure, entre politique intérieure, amourettes, vie reculée à la campagne (?), trahisons et noms empruntés, en remaniant, tournant et retournant l’Histoire à profusion. Sans spoiler, les développeurs se sont clairement amusés à prendre les grands noms et événements de l’époque pour raconter une histoire s’inspirant de l’Histoire mais en jonglant suffisamment brillamment pour brouiller les pistes. On retrouve alors la colonne vertébrale du Shinsen Gumi avec Kondo Isami, Hijitaka Toshizo, Ito Kashitaro ou Inoue Genzaburo. Comme déjà dit, tous ont dans le jeu les traits de personnages déjà bien connus de la série phare, tandis que le fameux épéiste Okita Soji a les traits de Majima Goro et Nagakura Shinpachi ceux de Taiga Saejima. On retrouve aussi Akiyama Shun ou Goda Ryuji dans d’autres rôles célèbres de factions importantes du bakumatsu ; plus loin encore, on reconnaît certains thèmes musicaux pendant des combats de boss. Les amateurs de l’histoire japonaise (dont je ne fais pas partie spécialement, je précise quand même) apprécieront les circonvolutions permettant la fusion des personnages de Sakamoto Ryoma et Hajime Saito dans des événements comme l’attaque de l’Ikedaya, la rébellion des portes Hamaguri ou la formation de l’alliance Choshu, avec toujours Ryoma / Saito au centre des événements. Ce n’est pas la véritable histoire, mais qu’importe : le scénario de la trame principale accroche bien et les différentes trahisons et retournements de situations sont légion (comme d’habitude dans les jeux Ryu ga Gotoku), au point qu’on finirait presque par s’y perdre. Les considérations politiques sont suffisamment bien abordées pour s’investir dans l’histoire, le jeu offrant en plus très intelligemment un glossaire accessible lors de certains dialogues pour replacer certains termes dans leur contexte et les expliquer.
Le glossaire
Qui dit jeu Ryu ga Gotoku, dit baston en temps réel (jusqu’au changement récent de la série principale en tout cas). Pour abattre les ennemis random rencontrés à chaque coin de rue, Ryoma a à sa disposition quatre styles de combat : mains nues (bagarreur), épée (bretteur), pistolet (tireur), et épée+pistolet (danseur endiablé). Déjà, on commence à se demander pourquoi on se battrait à mains nues contre des adversaires armés de sabres, lances, flingues voire gatlings (???) et la question gagne en intérêt à mesure de l’avancée dans le jeu où les poings ne font quasi plus de dégâts sur les derniers ennemis si on ne va pas chercher les dernières techniques les plus avancées. Il est toujours plus intéressant de prendre le sabre, car lui seul peut traverser les armures, par exemple. Personnellement, je trouve qu’il y a un petit déséquilibre sur les styles de combat, mais on a le mérite d’en avoir à nouveau quatre à disposition. En plus de cela, il est possible d’affecter des Soldats de sa division du Shinsen Gumi pour servir de soutien à Ryoma ; hormis les quelques invocations d’animaux, les soldats auront des rôles de buff, guérison et attaques spéciales. Évidemment, plus la carte de Soldat a une rareté haute, plus le pouvoir associé sera fumé. Et pour recruter des Soldats, il y a trois moyens à disposition : soit en les recrutant dans la rue en les combattant (pas compliqués à trouver, ils ont tous un masque particulier), soit certains en récompenses d’histoires secondaires, soit enfin en les recrutant moyennant finances dans le baraquement de gestion du Shinsen Gumi.
L’invocation d’un shiba pour amadouer
Le résultat des combats
Et je te hais de tout mon corps
Des quêtes secondaires déjantées…
Tout n’est pas magique dans le jeu. Sorti de l’histoire principale, un Yakuza/Ryu ga Gotoku/Like a Dragon offre une multitude d’histoires secondaires et d’activités annexes, et celui-ci ne fait pas exception. Cependant, la qualité est très fluctuante selon les épisodes et force est de constater qu’on est loin de la qualité/quantité des tous derniers épisodes. Dans Ishin!, l’une des activités annexes est donc la gestion de sa 3ème division et ça ne va pas bien loin. La gestion de Soldats se résume simplement à les recruter et à les assigner en raccourcis dans ses styles de combats pour les utiliser comme indiqué précédemment… Et c’est tout. Sinon, il s’agit de se balader dans des Donjons peuplés d’ennemis pour gagner des ressources et quelques thunes, rien de passionnant, mais pour gagner des matériaux utiles pour forger des armes et armures, il faudra y passer hélas. Personnellement, je n’en ai pas fait la moitié, les Donjons étant d’un ennui mémorable. Et donc, pour améliorer son équipement, il faudra se diriger vers la forge de Rakunai et c’est là qu’on rencontre l’un des gros points noirs du jeux : une économie totalement absurde. Pour donner un ordre d’idée, accomplir une mission moyenne de Donjon du Shinsen Gumi octroie 1 à 2 ryo. La forge d’un katana au tout dernier niveau demande… Plus de 100 ryo. Et là, c’est sans compter les niveaux précédents et toutes les ressources nécessaires… Et le fait qu’il faudra d’abord dépenser des dizaines et dizaines de ryo avant encore pour augmenter son niveau de forge ! Autant dire qu’on lâche très vite l’affaire et qu’on se contente aisément d’utiliser le matos droppé par des ennemis le plus souvent et qu’une part du contenu part aux oubliettes. Et pour l’anecdote, le 100% du jeu demande de forger l’intégralité du matos, avec l’intégralité des upgrades complémentaires !
Et ce n’est pas avec les habituels petits jeux d’argent qu’il faut espérer renflouer ses caisses. On a donc poker, koi koi, cho han, mah jong, shogi… la routine des Yakuza, mais pour gagner vraiment de l’oseille, l’activité secondaire à privilégier est la… Course de poulets. Adeptes du PMU, soyez heureux, vous aurez l’opportunité de parier du pognon virtuel sur des gallinacés rapides et furieux en essayant de déterminer qui sera le grand vainqueur d’une course. Il est aussi possible de parier sur un duo, ou un quinté… Il faut trouver une martingale (qui existe) pour enchaîner les gains mais, il faut bien savoir qu’il s’agira toujours d’un jeu de hasard qui n’a rien à voir avec de la gestion comme on a pu avoir dans Yakuza : Like a Dragon par exemple. L’intérêt manque donc cruellement pour passer des heures à miser sur des poulets vénères afin d’alimenter l’économie locale et son propre porte-feuille. Le dernier moyen principal de gagner de l’argent est de gérer une petite affaire locale, en faisant pousser des légumes dans son jardin, en pêchant moult poissons, en cuisinant des plats et en vendant le tout à des gens du coin. Mais là encore problème, on fait cela pour aider la jeune Haruka, orpheline et endettée, à payer sa maison dans laquelle on pourra squatter et recueillir chats et chiens errants (no joke). Il faudra pour cela économiser 100 ryo avec ces commandes et elles sont loin de payer autant… Là encore, l’intérêt est très bas sauf pour les fans de Haruka et il sera surtout utile de se cuisiner des plats à soi-même.
Beaucoup de PNJs portés sur la gaudriole
L’économie du jeu est abusée et on aimerait au moins se retourner sur les quêtes secondaires pour rigoler un peu dans une histoire assez grave ; force est de constater qu’on rigole bien, mais pas forcément pour les bonnes raisons. La plupart sont proprement débiles, mais aussi très nulles. Refiler des tas de conneries à un gamin pauvre pour qu’il puisse jouer avec ses potes (??) ou d’autres tas de merde à un mec louche dans Mukurogai sous prétexte que « ça vient de vous chef, ça vaut cher » (mec, je viens de te filer un cloporte, UN CLOPORTE), ça n’a rien de folichon et je reste poli. On pourra nouer des amitiés avec différents pnj du jeu en interagissant plusieurs fois avec eux, mais là encore ça n’aura strictement aucune espèce d’intérêt in fine. OK, il s’agit juste d’un bonus rigolo (et on a aussi ça dans des épisodes récents de la série), mais personnellement j’aurais aimé plus de contenu intéressant en priorité pour apprécier ce petit bonus en fait. La ville fait assez vide en plus d’être finalement pas assez grande je trouve et vers la fin du jeu j’avoue avoir enchaîné les chapitres plutôt que de chercher à vagabonder dans les rues de Kyo.
Enfin, ne peux pas terminer ce long passage négatif sans parler de la réalisation : il s’agit du premier jeu de la série développé sous Unreal Engine en ayant abandonné le Dragon Engine maison du studio, et on espère qu’il essuyera suffisamment les plâtres pour que les prochains jeux de la série canonique évitent les écueils de Ishin! ; d’accord, les cinématiques en CG sont toujours plus jolies que le reste des cinématiques avec le moteur du jeu, mais ici la différence est assez flagrante, surtout sur les personnages secondaires. Tous les protagonistes principaux ont évidemment bénéficié des plus grands soins de modélisation, surtout ceux basés sur des acteurs réels ; mais pour tout le reste du cast secondaire et plus, les modèles 3D sont au mieux bâclés, au pire assez foirés. Les textures poppent régulièrement malgré des rues vides et le jeu se permet même de ramer dans certaines séquences de l’histoire principale. Ajoutons à cela des PNJ qui marchent contre des murs, montent des escaliers dans le vide ou sortent de terre et on se dit qu’il y a encore un long chemin à faire pour maîtriser ce nouveau moteur, alors qu’il s’agit « simplement » d’un remake (je mets entre guillemets, car même un remake n’est pas forcément simple à faire d’un point de vue technique). Et heureusement qu’ils ont corrigé la gestion des accents ou de variables dans le jeu via un patch juste avant sa sortie…
KAMEHA !
Mais je t’adore encore
Alors oui, je déplore l’absence de contenu annexe vraiment intéressant, l’économie pétée ou le ratage global de la gestion de division du Shinsen Gumi. Je déplore aussi la réalisation en partie catastrophique du jeu. Mais j’ai tout de même bien aimé y jouer malgré tout… Comme mentionné plus haut, l’histoire principale reste accrocheuse et la montée en puissance de l’intrigue est encore une fois savamment dosée. Aussi, il sera très intéressant, si on ne connaît pas les événements et personnages de l’époque du bakumatsu de se renseigner après coup sur la façon dont les devs ont malicieusement ficelé un gloubi-boulga efficace.
J’ai évoqué plus tôt les styles de combat et il est possible de rencontrer plusieurs maîtres (dont le classique Komaki) pour débloquer des techniques pour les quatre styles de combat dans des sphériers de compétences à compléter avec des orbes d’expériences, le système étant pas trop mal fichu : plus on utilise un style et plus on gagne des points dans celui-ci pour gagner des orbes de sa couleur à utiliser dans son sphérier ; et on gagne en plus via son niveau de personnage des orbes gris à utiliser dans n’importe lequel des sphériers. Les orbes gris déjà utilisés pourront être remplacés par des orbes de couleur pour pouvoir les réutiliser ailleurs, façon d’éviter au joueur de ne pas être obligé d’utiliser un style délaissé et donc moins puissant, en tout cas dans une moindre mesure.
Et puis on retrouve ce bon vieux karaoké, et chanter Baka Mitai pour une assemblée de types bourrés d’un izakaya sous un lustre disco avec des images absurdes reste toujours aussi savoureux.
Le karaoké est de retour
Test réalisé sur PlayStation 5 par Bardiel Wyld à partir d’une version fournie par l’éditeur