Feliciana Soares se frappe la poitrine. Sa voix rauque psalmodie des lamentations en tetun Terik [l’un des dialectes parlés sur l’île de Timor, dans l’archipel indonésien]. De temps à autre, son chant s’estompe. On n’entend plus que des sanglots qui jaillissent comme s’ils fouettaient le silence alentour. Personne ne répond, sinon le son des tihar [les tambours timorais] que frappent les cinq autres jeunes femmes sur scène.
Une frontière surgie entre les corps et les familles
Feliciana est citoyenne du Timor oriental, mais elle vit de l’autre côté de la frontière, en territoire indonésien, non loin de la ville d’Atambua (dans la région de Belu). Après le référendum de 1999, qui a abouti à l’indépendance du Timor oriental, le père de Feliciana a opté pour la citoyenneté indonésienne. En tant que soldat, il a dû émigrer dans la région de Belu, tandis que Feliciana est [provisoirement] restée vivre, enfant, au Timor oriental.
“De nombreuses familles vivent encore séparées, même si à présent les conditions sont bien meilleures qu’aux premiers jours de la création de l’État”, explique la jeune femme à l’issue de la représentation d’Ibu-ibu Belu. Bodies of Borders [“Femmes de Belu. Corps frontaliers”], donnée le 6 février au théâtre Salihara de Jakarta – un spectacle chorégraphié par le célèbre danseur indonésien Eko Supriyanto, qui a notamment participé en 2001 à la tournée mondiale de Madonna.
Pour Feliciana, il reste ainsi compliqué de se réunir en famille, surtout au moment des fêtes de Noël [la population du Timor oriental est en très grande majorité catholique] : “Ce corps va et vient des deux côtés de la frontière et subit toujours de
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Putu Fajar Arcana