nos démocraties peuvent-elles tenir ?



Chaque semaine, Courrier international explique ses choix éditoriaux, les débats qu’ils suscitent parfois dans la rédaction. À la une de ce numéro, le coronavirus toujours, qui focalise l’attention de la presse étrangère. Alors que la pandémie submerge la France, nous avons choisi de nous interroger sur la capacité de résistance de notre démocratie et des démocraties libérales en général face à une crise de cette ampleur.

Alors que l’épidémie de Covid-19 frappe de plein fouet la France, nous consacrons notre une à l’épreuve qu’une crise sanitaire de cette ampleur constitue pour les démocraties libérales. Le choix peut paraître “décalé”. Mais pour nous, la situation en France ne peut se comprendre qu’à l’aune de ce qui se passe dans les autres pays, surtout en ce moment. Notre valeur ajoutée, c’est notre lecture du monde. Nous tenons à faire vivre le débat, à publier des opinions, des articles que vous ne lirez pas forcément ailleurs. De la gestion française de la crise, il est de toute façon question dans nos pages cette semaine. Le quotidien allemand Die Welt salue ainsi la gestion allemande de l’épidémie, plus soucieuse du respect des valeurs démocratiques et forte d’un système décentralisé, qui semble pour le moment plus payante qu’en France. “Une crise révèle les forces et les faiblesses d’un régime politique”, écrit l’hebdomadaire sud-coréen Sisa In. C’est cet aspect des choses que nous avons voulu décrypter dans ce dossier.

La voie coréenne (dépistage massif de la population et confinement souple) ou la méthode, plus musclée, chinoise (confinement ultrastrict de dizaines de millions de citoyens pendant des semaines, contrôles par drones, utilisation poussée de la reconnaissance faciale)… Depuis le début de la pandémie, et alors que tous les pays se referment sur eux-mêmes, chacun semble chercher désespérément un modèle à suivre. La Chine, qui a d’abord fait figure de repoussoir (c’est de là qu’est partie l’épidémie), retrouve les faveurs de certains États grâce à sa “diplomatie des masques”, comme l’a baptisée le South China Morning Post (l’État français lui en a commandé un milliard et un pont aérien vient d’être mis en place). Doit-on pour autant imiter la stratégie sanitaire de Pékin, qui proclame aujourd’hui avoir contenu l’épidémie (et en veut pour preuve la reprise progressive de l’activité à Wuhan) ? Rien n’est moins sûr. Outre que de nombreux épidémiologistes s’inquiètent de la probabilité d’une seconde vague dans le pays (en raison notamment des personnes asymptomatiques non repérées qui auraient pu transmettre la maladie), il est difficile aujourd’hui de vérifier les informations en provenance de Chine.

Voir aussi  Un vice-Premier ministre chinois souligne l'interdiction de la pche dans le fleuve Yangts — Chine Informations

Car ce qui différencie une démocratie d’un régime autoritaire, outre l’organisation d’élections libres, c’est bien la liberté d’information. On l’a vu en Iran. On l’a vu aussi en Chine, où le gouvernement a caché les débuts de l’épidémie alors que des médecins – le plus célèbre d’entre eux, Li Wenliang, est décédé depuis – avaient alerté dès la fin décembre de cas suspects dans leur région. Tous ont été sanctionnés. En février encore, deux journalistes citoyens qui enquêtaient sur la crise sanitaire en Chine ont tout simplement disparu. Et des lanceurs d’alerte affirment aujourd’hui que les bilans ont été largement sous-estimés par Pékin. Alors, non, il ne s’agit évidemment pas dans ce dossier de comparer les mérites et les avantages des démocraties libérales et des régimes autoritaires. Nous n’avons pas de doute là-dessus. Mais certains semblent en avoir. Il est de la responsabilité des leaders politiques d’être parfaitement au clair avec ça. Face à une crise, qu’elle soit économique ou sanitaire, il est nécessaire d’imposer des mesures d’état d’urgence sans pour autant avoir recours à une rhétorique guerrière”, s’alarme le politologue néerlandais Cas Mudde dans nos pages. Même inquiétude du côté du New Statesman face aux mesures de surveillance de plus en plus sophistiquées qui se multiplient et qui pourraient perdurer après la crise.

Dictature ou démocratie ? Face à la pandémie, ce n’est pas le régime qui compte, mais le degré de solidité d’une nation, explique de son côté le politologue russe Fiodor Loukianov. “C’est l’heure pour chaque État du test de résistance, et tous ne le réussiront pas”, écrit-il dans Kommersant. C’est de ça que nous devons nous inquiéter. En Espagne, le système de santé semble au bord du gouffre. Au Royaume-Uni, le gouvernement, coupable de “négligences criminelles face à la pandémie, a fini par imposer des mesures draconiennes qui donnent des pouvoirs disproportionnés à la police et aux services de l’immigration”, dit encore Cas Mudde. En Italie du Sud, où plus de trois millions de personnes qui travaillaient sans contrat se sont retrouvées brusquement sans revenus, on craint une explosion sociale. Même chose à Delhi, en Inde, pour les vendeurs à la sauvette et sans doute dans beaucoup d’autres endroits dans le monde. Les fractures sociales risquent d’être exacerbées par cette crise.

Voir aussi  Cheese naan

Au Moyen-Orient comme en Asie, l’épidémie semble pour l’heure conforter les autocrates. Mais les régimes autoritaires comme les démocraties libérales seront jugés sur leurs capacités à protéger leurs citoyens. Le tableau peut paraître sombre, mais une chose semble avoir déjà changé. La réponse à cette crise sans précédent sera forcément globale. Rarement une cause aura autant mobilisé les gouvernements. Et ce que le monde n’a pas réussi à faire face à l’urgence climatique, il est peut-être en train de le faire avec le Covid-19. C’est déjà le cas en matière de coopération internationale scientifique, mais aussi logistique. Et bientôt, on l’espère, politique.

Claire Carrard





Source link

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *