En 1988 sortait le troisième épisode de la toute nouvelle référence du jeu de rôle japonais : Dragon Quest III (DQ3 pour les intimes). Malgré une sortie quatre ans plus tard aux États-Unis sous le nom Dragon Warrior III et de multiples portages sur Super Nintendo, Game Boy Color ou mobiles, il faudra attendre 2019 et une version Nintendo Switch pour enfin mettre la main sur le jeu en Europe. La licence Dragon Quest, initiée en 1986 par Enix et le légendaire trio Yuji Horii (réalisateur), Koichi Sugiyama (compositeur), et Akira Toriyama (designer des monstres et personnages), a eu bien du mal à poser ses valises en Europe et si Final Fantasy, du concurrent Squaresoft, débarqua en 1997 avec le septième opus, ce n’est que neuf ans plus tard que Dragon Quest fit de même avec son huitième épisode, et ce grâce à la fusion entre les deux frères ennemis pour devenir l’entité Square Enix que l’on connait aujourd’hui. De plus, contrairement à la licence Final Fantasy qui s’est rapidement mise à niveau pour proposer tout son catalogue principal au public européen via des compilations sur PlayStation, la licence Dragon Quest n’a pas connu cette chance et ce n’est qu’avec l’arrivée de la Nintendo DS que le vieux continent découvre les épisodes Super Nintendo. Quant aux trois premiers opus qui nous intéressent, il faudra encore attendre dix ans et les version eshop pour Nintendo Switch. Autant dire que l’Europe n’était pas la priorité d’Enix puis de Square Enix.
Mais aujourd’hui tout est pardonné et tous les épisodes sont enfin disponibles. Mieux encore, une nouvelle version des trois premiers jeux en HD–2D, ce style graphique old school mélangeant habilement des personnages 2D dans des décors 3D et popularisé par la série Octopath Traveler, voit enfin le jour pour notre plus grand bonheur. C’est d’ailleurs le troisième épisode que nous allons traiter aujourd’hui et si vous vous demandez pourquoi le troisième avant les deux premiers, la réponse est simple : ces trois premiers jeux font partie de la trilogie d’Elric et le troisième épisode est le premier dans l’ordre chronologique. Ce n’est pas forcément instinctif pour quelqu’un qui découvre, mais c’est un choix plutôt sensé de la part de Square Enix, d’autant plus que ce troisième épisode reste le plus populaire au Japon. Cependant, il faut garder en mémoire que Dragon Quest III fut aussi une révolution dans le genre en apportant le cycle jour / nuit ou encore le choix du genre des personnages sans parler des autres améliorations dans les mécaniques de jeu. Revenir en arrière risque d’être compliqué, donc Square Enix devra trouver le moyen d’équilibrer les deux prochains pour éviter la comparaison négative. En attendant, il est temps de faire le grand saut vers cette madeleine de Proust remise au goût du jour.
Il était une fois
Les forces de l’Archidémon Baramos se renforcent et alors que l’humanité plonge dans la peur, un héros du nom d’Ortega part seul éliminer la source du mal. Malheureusement, celui-ci échoue laissant le monde face à son destin. Quelques années plus tard, son enfant – fille ou garçon selon votre choix – prend sa succession et, alors âgé de seize ans, prend les armes pour marcher dans ses pas et retracer son parcours. Mais cette fois-ci, il ne sera pas seul et ce n’est qu’après avoir enrôlé de loyaux compagnons qu’il se lance enfin dans une aventure épique, qui mettra son courage à rude épreuve.
Dragon Quest III est un modèle de manichéisme dans le J-RPG. C’est le combat du bien contre le mal et le plus important n’est pas tant l’arrivée que la quête pour y parvenir. Oubliez les multiples retournements de situation qui renversent la table en milieu de partie, même s’il y en a bien un que je me garderais de vous narrer, ou les personnages torturés qui flirtent entre le bien le mal. Pas non plus de message caché ou de seconde lecture, tout est clair et c’est très bien ainsi. Alors oui, c’est très simpliste et à la limite de l’enfantin, mais ça fait du bien de revenir de temps en temps aux fondamentaux ayant servi de base aux jeux bien plus modernes auxquels nous pouvons jouer aujourd’hui.
Vous jouez donc l’enfant du héros légendaire et la partie débute alors qu’une voix résonne dans votre rêve. Cette entité a besoin de vous pour sauver le monde et se lance dans une série de questions pour déterminer votre nom, votre date de naissance, mais aussi votre personnalité via un questionnaire à choix multiples. De vos réponses découle une personnalité qui a un impact non négligeable sur vos statistiques. Ainsi, chacune d’entre elles possède son lot de bonus et parfois malus qui peuvent faciliter ou alourdir votre progression. Si une brève description est bien donnée au moment du résultat afin de savoir quelles statistiques sont affectées, il n’est pas possible de revenir en arrière, donc je ne peux que vous conseiller de trouver un tableau explicatif sur internet histoire de vous faciliter un peu la vie. Une fois cela fait, vous vous réveillez et votre mère vous explique qu’il est temps d’aller au château rencontrer le roi. En effet, vous avez maintenant seize ans et cela sonne pour vous le début d’une longue aventure sur les traces de votre père. Ayant reçu la bénédiction du roi, il vous reste maintenant à recruter des compagnons à la taverne.
Pour cela, rien de plus simple, il vous suffit d’aller au comptoir pour recruter ceux proposés de base ou d’aller à l’étage pour en personnaliser selon vos envies. Guerrier, artiste martial, mage, prêtre, marchand, vadrouilleur, voleur et le fameux monstrologue, la toute nouvelle classe pas si nouvelle ajoutée spécialement pour l’occasion. Qu’est-ce que le monstrologue ? Un combattant capable d’utiliser les compétences des monstres à son avantage. Dans les faits, il est capable d’apprendre des compétences de deux manières différentes. Tout d’abord, en parallèle de l’évolution de son niveau, comme n’importe quelle autre classe, mais aussi en fonction du nombre de monstres que vous apprivoisez façon Pokémon. Et c’est là la seconde grande nouveauté de ce remake, puisqu’il vous est possible de récupérer des tas de monstres cachés dans les villes, les donjons, mais aussi les nombreuses clairières et bosquets repartis à travers la mappemonde. Ces monstres peuvent ensuite être utilisés pour faire des combats dans des arènes se trouvant dans la plupart des grandes villes. Contre des frais d’inscription, vous pouvez choisir un groupe de trois monstres et les lancer dans l’arène où ils doivent affronter quatre autres dresseurs pour obtenir une récompense et le droit de s’inscrire au niveau supérieur. Quant aux combats, vous n’avez que très peu d’influence dessus, puisque vous pouvez juste sélectionner à chaque tour la tactique à suivre parmi quatre pour chaque monstre. Pour faire évoluer les monstres et ainsi les garder compétitifs pour les niveaux supérieurs, il faut en trouver d’autres du même type, ce qui augmente ses statistiques et débloque de nouvelles compétences. Rien de bien folichon, mais les récompenses sont très intéressantes et c’est surtout un moyen simple de gagner un peu d’argent sans trop se fouler quand on veut se payer le dernier équipement en vogue.
Une fois la classe choisie, vous pouvez sélectionner le genre, un design parmi quatre propositions, la couleur de cheveux, et enfin repartir manuellement ou automatiquement quelques bonus de statistiques qui influencent la personnalité. Car oui, vos compagnons aussi ont une personnalité qui, tout comme la vôtre, a un impact sur leur évolution. Mais ici, il est toujours possible de revenir en arrière si le résultat ne vous plaît pas. Vous constaterez d’ailleurs en voyant mes captures du jeu que j’ai fait une équipe entièrement composée de personnages féminins à la personnalité « charmeuse ». Ce n’est pas un hasard et les connaisseurs du jeu original l’auront sûrement déjà compris. En effet, dans la version originale, les personnages féminins possédaient un certain avantage sur leurs homologues masculins. Tout d’abord, certaines pièces d’équipement très puissantes leur étaient dédiées, mais elles avaient aussi accès à la personnalité « charmeuse », qui avait l’énorme avantage de proposer un bonus dans toutes les statistiques, sans aucun malus. Si c’est toujours en partie vrai, les développeurs de Square Enix et Artdink ne se sont pas contentés de copier-coller le jeu de base en ajoutant juste le monstrologue et le système de monstres à capturer, ils aussi ont apporté quelques ajustements bienvenus, dont la modification des statistiques, ce qui a pour conséquence de rendre l’idée des personnages féminins charmeuses moins intéressante à défaut d’inutile. C’est ballot. Ne vous posez donc pas trop de questions et faites comme bon vous semble, surtout que différents objets permettent de modifier temporairement ou définitivement la personnalité de chaque membre du groupe. Quant au choix des classes, là aussi le jeu est suffisamment équilibré pour qu’il soit difficile de se tromper. Du moment que vous avez une classe pour soigner, que ce soit le prêtre ou même le monstrologue en plus du héros, vous êtes paré.
Une fois la compagnie formée, il est temps de quitter la ville et de commencer votre long périple.
En route pour l’aventure
Vous voilà sur la mappemonde et si vous pensiez avoir un minimum de liberté en sortant des murs de la ville, il va falloir attendre un peu, car comme tout J-RPG à l’ancienne qui se respecte, le début est très dirigiste avec un objectif clair à suivre. D’une ville vers un donjon qui ouvre une nouvelle zone avec une ville puis un donjon, etc. Ce n’est pas la partie la plus intéressante du jeu, mais ça se débloque par la suite avec tout d’abord le bateau, permettant de visiter la quasi-totalité de la carte – du moins la carte principale – et de découvrir certains secrets. Plus tard, c’est un transport volant qui finit de vous ouvrir l’ensemble du monde en vous permettant d’atteindre les dernières zones jusque-là inaccessibles. Et n’oublions pas aussi de mentionner le cycle jour / nuit, qui a une véritable incidence sur le contenu. Déjà, certains monstres à capturer ne sont accessibles qu’à une période précise de la journée, mais ce n’est pas tout, puisque certains événements n’ont lieu que si vous arrivez au bon moment et il en va de même pour certains bâtiments, ouverts ou fermés en fonction du moment de la journée. Pas d’inquiétude, si vous n’arrivez pas au bon moment, il vous suffit d’aller sur la mappemonde et d’attendre que le temps passe, car celui-ci n’évolue pas lorsque vous êtes en ville ou dans un donjon.
Dans chaque ville, vous pouvez fouiller chaque peau de fleur, chaque commode ou armoire pour obtenir des objets, et les connaisseurs constateront que ces derniers sont bien plus nombreux que dans le jeu de base, et différents de ceux dans les portages qui ont suivi. Parmi ces objets se trouvent les fameuses mini médailles, qui s’échangent contre des pièces d’équipement et des accessoires puissants. Mais la ville, c’est aussi le lieu propice à la récupération d’informations majeures. Si dans la majorité des J-RPG de l’époque les habitants n’apportaient pas grand-chose en répétant en boucle qu’ils doivent étendre le linge ou que le chat du voisin vole les cookies de mamie, ici ils deviennent une véritable source d’informations utiles aussi bien pour la continuité de votre quête que pour découvrir des lieux et objets secrets. Et pour éviter de perdre le fil, le jeu intègre maintenant un outil très judicieux qui conserve toutes les informations que vous venez d’accumuler dans un lieu en appuyant juste sur un bouton. Informations que vous pouvez ensuite facilement consulter. Au revoir le carnet de notes !
Concernant les donjons, là aussi on reste sur du très classique. Des ruines, des tours, des cavernes, des volcans, des châteaux, et autres pyramides sont à visiter de fond en comble pour en récupérer tous les trésors, au prix de nombreux combats aléatoires. Et oui, les allergiques aux combats aléatoires vont devoir passer leur chemin ou accepter de se gratter de désespoir tant ils sont nombreux, trop même. Difficile de faire plus de dix pas sans trébucher sur un gluant et je ne peux que vous conseiller de prendre un voleur dans votre équipe au moins jusqu’à ce qu’il obtienne la compétence « Discretio », qui comme son nom l’indique vous rend plus discret et réduit significativement la corvée des combats. Ensuite, rien ne vous empêche de profiter du système de changement de classe pour le passer guerrier ou sage ou que sais-je encore. C’est d’ailleurs un des points qui ont marqué le jeu original en son temps. La possibilité de changer de classe assez rapidement dans l’aventure pour ainsi créer des personnages uniques conservant les compétences déjà acquises. Vous pouvez avoir un mage guerrier, un prêtre voleur ou encore un marchand vadrouilleur. À vous de décider.
Quant aux combats, que dire si ce n’est qu’on est face à du pur Dragon Quest, et en plus un épisode de la première trilogie, donc attendez-vous à un système très simple, mais maitrisé. Un tour par tour où vous choisissez les commandes de tous les compagnons, parmi l’attaque normale, les compétences, la défense ou les objets, pour ensuite les voir s’accomplir dans un ordre établi à partir des statistiques de chaque intervenant, dont les ennemis. Toutefois, si les combats manuels vous ennuient, vous pouvez toujours donner des instructions à vos personnages pour qu’ils agissent automatiquement. C’est d’ailleurs le choix de base pour tous vos compagnons. Grande nouveauté de cette version : la possibilité d’accélérer la vitesse, ce qui ne manquera pas de réjouir les fans du jeu. Par solidarité, testez à vitesse normale histoire de vous faire une idée de l’horreur qu’a vécu toute une génération de joueuses et joueurs. Voilà, rien de bien original si ce n’est la gestion de l’inventaire ou plutôt des inventaires. Contrairement à un Final Fantasy où tous les objets sont accessibles à tous les membres du groupe à n’importe quel moment, Dragon Quest a fait un choix un peu plus réaliste en imposant un inventaire pour chaque personnage à utiliser en combat en plus d’une sacoche globale pour les consommables, une autre pour les équipements accessibles uniquement hors combat, et une dernière pour les objets de quête. Cela vous oblige à répartir les objets de soin équitablement, même si au final, vous n’en utiliserez pas tant que ça. Le mode de difficulté normal étant plutôt bien dosé, il ne devrait pas vous poser trop de problème en dehors d’un ou deux combats plus corsés. Si jamais vous êtes en manque de challenge, vous pouvez toutefois passer au niveau de difficulté le plus élevé et ce à n’importe moment durant l’aventure. Sympa.
Un coup de polish
En tant que remake, on était en droit d’attendre une mise à jour graphique de qualité, surtout avec l’expérience accumulée chez Square Enix dans le domaine de la HD-2D. Dans les faits, c’est plutôt joli, aucun doute là-dessus, mais rien de transcendant non plus et s’il est vrai que partir d’un jeu déjà existant limite les possibilités créatives, on reste tout de même un bon cran en dessous du superbe Octopath Traveler II, que ce soit dans la gestion de la lumière, des particules ou même dans l’équilibre entre 2D et 3D. Pour Dragon Quest III – HD-2D remake, les développeurs ont fait le choix d’une 3D très propre, plutôt détaillée alors que pour Octopath Traveler le choix s’est porté sur une 3D plus pixelisée, qui donne un résultat souvent plus convaincant en combinaison avec les personnages. Heureusement, les design du talentueux Akira Toriyama, auteur entre autres de Dr Slump ou encore Dragon Ball et décédé en mars de cette année, sont fidèlement retranscrits. Au bout du compte, cela reste un jeu très agréable à l’œil avec de jolis détails dans les décors ainsi que sur la mappemonde, cependant la 3D manque d’un brin de personnalité et donne ce sentiment de décors un peu génériques malgré le fait qu’ils sont techniquement réussis. Dans les défauts, on peut aussi pointer du doigt une caméra fixe assez gênante sur la mappemonde, qui peut avoir un impact vraiment négatif sur la visibilité. Si vous vous dirigez vers le nord, tout va bien, vous voyez relativement loin et pouvez profiter du voyage, mais déplacez-vous vers le sud et là c’est l’inconnu, vous ne voyez plus rien au-delà de trois mètres et il faut ouvrir la carte pour savoir où vous mettez les pieds. Le pire étant de se déplacer avec le « véhicule » volant. Une catastrophe à prendre en main. Bien frustrant, même si ce n’est pas la fin du monde.
Pour finir, la musique de Koichi Sugiyama, qui n’aura jamais pris sa retraite avant son décès en 2021, a été sublimée dans des versions orchestrées de toute beauté. J’ai beau trouver son œuvre moins qualitative sur les derniers épisodes, son travail sur Dragon Quest 3 est vraiment réussi. Certes, il y a un peu trop de redites et le cycle jour/nuit donne parfois des résultats étranges en ville (plusieurs thèmes de nuit dont certains uniques, mais un thème commun de jour en dehors de rares exceptions ?), toutefois la qualité est là, donc difficile de faire la fine bouche. On apprécie aussi l’ajout de doublages en japonais ou anglais pour les dialogues importants ; les textes étant eux disponibles dans plusieurs langues dont le français.
Conclusion
En conclusion, Dragon Quest III HD-2D Remake est un excellent jeu pour découvrir la saga Dragon Quest. Il sent bon la madeleine sortie du four tout en étant dans un écrin suffisamment moderne pour ne pas rebuter. Les ajouts de cette nouvelle version ne manquent pas d’intérêt et la nouvelle classe ainsi que l’arène de monstres apportent un petit vent de fraîcheur bien sympathique. On regrette juste une 3D qui manque un peu de personnalité, des effets visuels un peu trop discrets, et une caméra fixe sur la mappemonde pouvant entrainer de légers pics de colère.
Un jeu à faire et à refaire pour les petits et les grands.
Le jeu est disponible sur Nintendo Switch, PlayStation 5, Xbox Series X|S et PC via Steam et le Windows Store.
Test réalisé par Lianai à partir d’une version Steam fournie par l’éditeur.