“Xi Jinping a tué un parti et un pays”



Cai Xia, ancienne enseignante de l’École du Parti, exclue le 17 août de l’organisation, et désormais en exil hors de Chine, a parlé librement au Guardian des graves conséquences politiques, voire géopolitiques, de la concentration des pouvoirs dans les mains exclusives de Xi Jinping.

Cai Xia a été exclue du Parti communiste chinois le lundi 17 août, soit deux mois exactement après la fuite sur Internet d’un enregistrement audio dans lequel elle décrivait le président Xi Jinping comme unchef mafieux”.

Interrogée en juin par le Guardian, Xia était allée encore plus loin dans sa dénonciation du président chinois, évoquant ce qu’elle considérait comme ses erreurs en tant que leader et expliquant pourquoi elle jugeait une transition vers la démocratie inéluctable. Elle avait ensuite demandé que ses propos ne soient pas publiés en raison de menaces dirigées contre elle et sa famille.

À présent qu’elle a été exclue du Parti et qu’elle a quitté la Chine, elle se sent libre de s’exprimer :Ma parole est libre. Je ne rends désormais des comptes qu’à ma conscience et à mes principes”, a-t-elle déclaré au Guardian.

L’entretien ci-dessous est une version éditée de notre interview de juin, réalisée juste après la diffusion de l’enregistrement qui l’a fait exclure du Parti.

THE GUARDIAN. Vous dites qu’en 2018 l’amendement à la Constitution chinoise abolissant toute limite à la durée du mandat présidentiel a été imposé par Xi Jinping, ce qui lui permettrait de rester au pouvoir indéfiniment. En quoi cela a-t-il constitué un tournant ?

CAI XIA. Il a fait avaler cet étron de réforme aux membres de l’Assemblée nationale populaire comme des chiens. Il l’a d’abord rédigée et a obligé tout le monde à l’accepter. Politiquement, c’est clairement un retour en arrière. Mais personne ne lui a opposé de résistance. Ça montre bien que le PCC est devenu un zombie politique. Le Parti n’a aucun moyen de rectifier des erreurs. Xi Jinping a montré qu’il pouvait à lui tout seul tuer un parti et un pays, et que, même sur une question aussi cruciale qu’un amendement constitutionnel, le Parti ne peut pas l’arrêter.

Que voulez-vous dire par : “Il a tué un parti et un pays” ?

Si personne ne peut lui résister, cela signifie qu’il exerce un pouvoir illimité. Dans le système chinois, depuis Mao, personne ne peut restreindre ou limiter le pouvoir du chef suprême. C’est comme cela qu’on est arrivés à des catastrophes comme la Révolution culturelle [1966-1976 ; Deng Xiaoping avait toutefois institué le principe d’une direction collégiale].

Pensez-vous qu’un désastre comme la Révolution culturelle pourrait se reproduire ?

Oui, et pas seulement. Vous voyez bien les tensions entre la Chine et les États-Unis. Xi Jinping s’est fait un ennemi du monde entier. C’est lui qui décide de toutes les grandes questions. Qu’il s’agisse d’un problème domestique ou international, il est très difficile de le freiner. Il est inévitable qu’il se trompe dans ses jugements et ses décisions.

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Quel est l’intérêt de se faire un ennemi du monde entier ? Pourquoi faire cela ?

Il y a plusieurs raisons. La première est qu’il cherche à renforcer sa position et son autorité. Vu les tensions sociales et économiques intérieures – ainsi que les frictions apparues au sein du Parti ces dernières années –, il veut pouvoir détourner l’attention de l’opinion publique chinoise en provoquant des conflits avec d’autres pays, en attisant l’antiaméricanisme ou en se querellant avec l’Inde.

Pourquoi est-il inévitable qu’il fasse des erreurs ?

À cause du pouvoir qu’il concentre entre ses mains, il peut punir qui il veut. Résultat : personne n’ose émettre une opinion divergente et personne n’ose lui dépeindre la situation réelle du pays. Comme les gens ne lui disent pas la vérité ou la lui cachent, il ne sait pas nécessairement ce qui est vrai. Il est donc inévitable qu’il fasse des erreurs.

C’est un cercle vicieux. Une mauvaise décision entraîne de mauvais résultats. Mais ses subalternes ont trop peur de le lui dire, et les mauvaises décisions s’enchaînent jusqu’à ce que la situation échappe à tout contrôle. Dans ce cercle vicieux, il n’y a aucun moyen d’empêcher que le pays n’aille droit à la catastrophe.

En quoi le pays se dirige-t-il vers une catastrophe ?

Parce que les gens ne peuvent pas dire la vérité. L’épidémie à Wuhan s’est propagée à tout le pays et dans le monde entier, tout le monde en a souffert. Les Chinois ont été les plus durement frappés, et, parmi eux, les habitants de Wuhan sont ceux qui ont le plus souffert.

Nous avons eu tellement de morts, y compris des gens comme Li Wenliang, qui n’auraient pas dû mourir [le docteur Li est décédé du Covid-19, c’est l’un des 8 médecins qui avaient été réprimandés pour avoir averti des collègues du danger sur les réseaux sociaux]. Concernant le nombre de morts, la Chine n’a toujours pas révélé un chiffre exact. En réalité, la catastrophe a déjà commencé pour le peuple chinois. Il y a énormément de chômage, les prix flambent et les catégories les plus pauvres n’ont plus de quoi survivre.

Vous pensez que l’épidémie a commencé parce que Xi Jinping n’a pas reçu les bonnes informations ?

Au début, il n’a pas reçu les vraies informations, mais, le 7 janvier, il a déclaré au cours d’une réunion qu’il prenait personnellement le contrôle de la situation. S’il était au courant de la situation le 7 janvier, pourquoi a-t-il attendu le 20 janvier pour déclarer l’épidémie ? Les responsables de tous les niveaux cachent la vérité jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible de la dissimuler. Mais s’il était au courant de la situation le 7 janvier, il n’a rien dit ou fait pour intervenir. Est-ce qu’il ne devrait pas assumer cette responsabilité ?

Pourquoi pensez-vous que le Parti n’a pas les moyens d’arrêter le président ?

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La nature du système fait que de nombreux membres et cadres du Parti sont impliqués dans des affaires de corruption. Si vous n’êtes pas irréprochable, vous n’osez pas faire d’objection. En outre, même si vous n’êtes pas corrompu, on peut toujours inventer des accusations. Si Xi Jinping dit que vous êtes corrompu, vous êtes corrompu.

Enfin, le code de discipline pour les membres du Parti (adopté en 2016) comporte une mesure disant que vous n’avez pas le droit de dévier de la ligne du Parti. Dès lors que vous exprimez une opinion différente, vous êtes en infraction avec la discipline du Parti et il peut se servir de ça contre vous. Avant, c’était encore possible de parler, même s’ils vous soumettaient à d’énormes pressions, ils ne pouvaient pas vous empêcher de vous exprimer.

Vous dites que de nombreux membres du PCC “savent au fond de leur cœur ce qui est en train de se passer” et que des réformes sont nécessaires. Dans quelle mesure ce point de vue est-il partagé ?

Au sein du Parti, je dirais 70 %, et peut-être même plus parmi les plus hauts représentants. La plupart de ces cadres ont été profondément marqués par la période de réforme sous Deng Xiaoping. Quand la Chine a rejoint l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, nous sommes entrés de plain-pied dans l’économie mondiale.

Tous ceux qui sont membres du Parti depuis vingt ou trente ans savent quand les choses évoluent dans la bonne direction ou vers une impasse. Il y a tout un groupe de cadres qui ont pris leurs fonctions après le lancement des réformes [en 1979]. C’est pour cela que je dis que tout le monde sait parfaitement ce qui se passe.

Vous avez dit qu’après l’amendement constitutionnel supprimant la limite des mandats présidentiels, le PCC serait enterré sans cérémonie. Que voulez-vous dire exactement ?

La Chine connaîtra nécessairement une transformation politique et évoluera vers la démocratie, la liberté politique, l’État de droit et le constitutionnalisme. C’est la trajectoire inévitable de toute civilisation politique moderne. Et la Chine y parviendra un jour ou l’autre.

Étant au pouvoir depuis 1949, le PCC a commis de nombreuses erreurs et même des crimes. Entre 1959 et 1961, près de 40 millions de personnes sont mortes de faim. Le mouvement anti-droitier de 1957 [grand mouvement de répression politique] et la Révolution culturelle ont blessé presque toutes les élites et les intellectuels chinois. Il y a aussi eu les manifestations de Tian’anmen en 1989, où l’armée a tiré sur la foule. Ce sont des choses que le peuple chinois ne peut pas accepter, en aucune circonstance. Elle s’appelle bien l’Armée populaire de libération, non ? C’est censé être l’armée du peuple.

La corruption du Parti est manifeste, de même que l’écart croissant entre riches et pauvres. À l’avenir, quand la Chine sera devenue une démocratie, tout cela apparaîtra comme des erreurs monumentales, les péchés du PCC.

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Comment pouvez-vous être si sûre que la Chine entamera une transition démocratique ?

C’est la voie que nous devons emprunter, tôt ou tard. La démocratie, la liberté et l’État de droit sont des valeurs fondamentales répondant aux attentes essentielles de tout être humain. Tout le monde souhaite être libre, et la liberté n’est possible que lorsque les droits des gens sont protégés, n’est-ce pas ? Pour protéger ces droits, vous avez besoin d’un système fondé sur la démocratie et l’État de droit. Ce n’est que lorsque les droits humains sont protégés que les gens peuvent être libres, et la liberté fait partie de la nature humaine.

Quand pensez-vous que cela arrivera ?

Je ne peux pas prédire l’avenir, je peux seulement dire que c’est inévitable. À l’échelle de l’histoire d’un pays, cinq ou dix ans, ce n’est rien. Même un siècle, ce n’est pas grand-chose.

Vous dites que la société civile chinoise a été détruite. Que peuvent faire les gens qui souhaitent du changement ?

À l’heure actuelle, il est complètement impossible pour les gens de s’organiser. Des groupes WeChat sont fermés tous les jours. Le PCC se sert de la crise sanitaire comme d’un prétexte pour accroître la surveillance technologique de la population. On peut vous emprisonner pour un rien.

La première chose à faire est donc d’abattre la grande muraille numérique et de faire tomber le blocus de l’information. Une fois que les gens sauront ce qui se passe vraiment, on ne pourra pas les arrêter et tout le monde voudra s’exprimer. Je pense qu’une des meilleures choses que puisse faire la communauté internationale contre l’autoritarisme chinois est de défendre le droit humain le plus fondamental de tous : la liberté d’expression.

Sur le plan individuel, que peuvent faire les gens ?

Tout le monde devrait s’efforcer de trouver des sources d’information fiables. Ne vous laissez pas embobiner et ne vous mentez pas à vous-même. C’est extrêmement important. Tant que les vraies informations circuleront, il y aura des gens pour réfléchir.

Ensuite, chacun doit défendre son droit à s’exprimer et en faire usage de quelque manière que ce soit. Si chacun défend ses propres droits, peut parler en son nom, surmonter sa peur et dire ses opinions – quand chacun d’entre nous se comporte en être libre et non comme un esclave –, alors le changement sociétal arrivera le plus vite possible.

Lily Kuo

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