Les nouvelles sanctions américaines sur le pétrole russe vont-elles enfin “marcher” ?
Les nouvelles sanctions imposées par Washington contre les deux plus grands groupes pétroliers russes, Rosneft et Lukoil, sont “sérieuses” mais n’auront “pas d’impact significatif sur notre bien-être économique”, a estimé Vladimir Poutine à l’issue d’un congrès de la Société géographique russe, jeudi 23 octobre. Selon des propos rapportés par le Washington Post, le président russe a dénoncé une “tentative de faire pression sur la Russie” et accusé les États-Unis de commettre un acte “hostile”, qui “ne renforce pas les relations russo-américaines”.
Lors de la conférence de presse, il a par ailleurs “minimisé la décision” prise par Donald Trump de suspendre les négociations de Budapest, estimant qu’elles avaient été seulement “reportées, et non pas annulées” et qu’il était de toute façon préférable de mieux s’y “préparer”. Le 16 octobre, le président américain avait en effet annoncé la tenue prochaine d’un sommet avec son homologue russe dans la capitale hongroise, avant de l’annuler “brutalement” et d’annoncer de nouvelles sanctions mercredi − une décision que le New York Times qualifie de forte “fluctuation” dans l’attitude du dirigeant, qui n’en est pas à sa première.
L’Union européenne (UE) et l’Ukraine ont pour leur part exprimé leur soulagement après ces annonces. L’UE a elle aussi approuvé jeudi de nouvelles sanctions, “supprimant progressivement les achats de gaz naturel liquéfié russe et ciblant 37 entreprises étrangères qui aident Moscou à contourner les sanctions”, fait savoir le Wall Street Journal. Quant à Volodymyr Zelensky, il s’est dit confiant sur le fait que cette stratégie consistant à “faire pression sur Poutine pour qu’il mette fin à cette guerre” finira par “marcher”.
“Peser le pour et le contre”
“Est-ce que ça marchera ? ”, se demande justement The Guardian, avec une certaine circonspection. Le quotidien britannique rapporte notamment les propos de Thomas Graham, expert sur la Russie au sein du think tank américain Council on Foreign Relations, qui estime que la Maison-Blanche “se trompe” si elle pense que “cela va conduire à un changement radical dans la conduite du Kremlin” qui jusqu’ici a “été très efficace pour contourner ce genre de sanctions.”
Pour le Wall Street Journal, l’impact de ces sanctions dépend de trois facteurs : “la manière elles seront appliquées” concrètement par les États-Unis, “la réaction des principaux marchés en Inde et en Chine”, et “la capacité de Moscou à contourner les mesures comme elle l’a fait jusqu’à présent”.
Concernant ce dernier point, le média russe exilé en Lettonie, Meduza, se veut raisonnablement optimiste, estimant qu’il sera cette fois-ci plus difficile de contourner les sanctions, dans la mesure où les entreprises qui achètent du pétrole russe pourraient se voir “priver de l’accès au dollar et voir leurs transactions avec les négociants, les transporteurs et les assureurs américains et européens gelés”.
De quoi, en effet, “peser le pour et le contre”, particulièrement pour la Chine et l’Inde, qui achètent massivement du pétrole russe mais n’ont pas intérêt à être coupés du système commercial international par des sanctions secondaires. Par ailleurs, souligne Meduza, cette question sera probablement évoquée dans “les négociations commerciales plus larges entre les deux plus grandes économies mondiales”, et pour Pékin, “une baisse des droits de douane américains pourrait s’avérer plus attractive que la poursuite des achats de brut russe.” Idem pour New Delhi, déjà très sévèrement pénalisée par les droits de douane américains.
La Chine et l’Inde suspendent leurs achats
Ces deux marchés représentent “environ 80 % de toutes les exportations de pétrole brut de la Russie” depuis le début de la guerre en Ukraine en 2022, note le Financial Times, qui précise que “l’Inde importe 1,5 million de barils de brut par jour en provenance de Russie […] juste derrière la Chine, avec 2 millions de barils par jour”. Or, selon les informations du quotidien financier, “les plus grandes sociétés pétrolières” chinoises et indiennes ont “toutes suspendu leurs achats” suite à l’annonce des sanctions américaines. Seuls “les petits raffineurs chinois indépendants continueraient d’importer du brut russe”.
“C’est sans aucun doute l’une des mesures les plus significatives prises par les États-Unis, mais je pense qu’elle sera affaiblie par le recours généralisé aux réseaux financiers illicites”, résume Rachel Ziemba, analyste pour le think tank américain Center for a New American Security, citée par le Kyiv Post.
“Reste à déterminer si ces mesures forceront Poutine à négocier”, conclut The Guardian. Bien qu’elles risquent de “sérieusement grever les revenus de la Russie”, le président russe a déjà prévenu qu’il était prêt à “laisser les Russes ordinaires supporter les conséquences économiques” afin de poursuivre ce qu’il décrit comme “une guerre existentielle en Ukraine”.