
“Les Enfants rouges”, le film qui explore les blessures du terrorisme islamiste en Tunisie
C’est avec onirisme et sous la forme d’un huis clos théâtral d’une grande sobriété que Lotfi Achour aborde une tragédie qui a ébranlé la Tunisie post-révolution. Dans Les Enfants rouges, en salle ce 7 mai, il revient sur la décapitation, en 2015, par des terroristes islamistes, de Mabrouk Soltani, un berger adolescent, dans les montagnes défavorisées de Kasserine, et les répercussions qu’a eues cet assassinat sur les proches de la victime, à commencer par son cousin. D’une grande maîtrise, “le film se présente comme une tragédie grecque déroulant des paysages, des voix et des cris, mais les images sanglantes finissent par nous prendre aux tripes et nous faire trembler individuellement et collectivement”, détaille le site Kapitalis.
Auréolé des prix les plus prestigieux aux Journées cinématographiques de Carthage, à Tunis, et au Festival international du film de la mer Rouge, à Djeddah, Les Enfants rouges a ému la critique tunisienne. D’abord parce qu’il revient sur un épisode particulièrement douloureux dans la mémoire collective, dont le trauma a été redoublé par l’assassinat dans les mêmes conditions du frère de Mabrouk, Khalifa, deux ans plus tard. Mais aussi parce que le cinéaste a choisi de retracer le drame à travers le parcours du cousin de Mabrouk, Achraf, 14 ans, chargé par les djihadistes de porter un message macabre à la famille en leur ramenant la tête du garçon assassiné.
La lutte d’une famille
Avec délicatesse, une caméra subjective nous place dans l’intimité d’un enfant traumatisé, avant de laisser place à des plans plus larges pour mettre en scène la relation de l’enfant à la famille sous le choc.
“Le long-métrage a été construit sur deux niveaux”, explique l’hebdomadaire L’Économiste maghrébin. “Un niveau interne”, tout d’abord, ou plus exactement intime, “qui explore la souffrance psychologique d’Achraf, magnifiquement interprété par Ali Helali, qui se trouve déchiré entre son amour pour son cousin égorgé et sa culpabilité de ne pas avoir eu le même sort”. Le “niveau externe”, quant à lui, explore le drame de la famille de la victime qui, après avoir accueilli le colis macabre, se retrouve “seule face à son malheur”, les autorités ne manifestant aucune velléité de l’“aider à récupérer le corps [de Mabrouk Soltani] dans la zone militaire minée” où il gît.

La famille lutte seule, les autorités ne voulant pas venir jusqu’à son village reculé des montagnes de Kasserine pour y ramener le corps démembré de l’adolescent, afin que lui soit offerte une sépulture digne.
Interpeller la société
Lotfi Achour s’inscrit ainsi dans une vague de films post-révolution qui explorent les traumatismes laissés par le djihadisme en Tunisie, comme Kaouther Ben Hania (Les Filles d’Olfa, 2023) ou Meryem Joobeur (La Source, 2025). Car le pays a connu une période de transition troublée après 2011, durant laquelle un grand nombre de ses citoyens ont rejoint l’État islamique (EI) et où beaucoup ont craint l’établissement d’un califat djihadiste.
“Le réalisateur interpelle la société tout entière en désignant ses limites morales et politiques”, notamment en questionnant l’absence de l’État et la médiatisation de cette tragédie, explique Kapitalis. Citant “la sobriété du décor, les silences accusateurs, les regards pleins de souffrance, la misère réelle des gens contrastant avec l’inanité des discours sur les plateaux de télévision”, le site considère que tout, dans la mise en scène de Lotfi Achour, concourt à livrer une forme de “procès” où “nous [les Tunisiens] sommes tous accusés”.
Si le drame avait tant choqué en Tunisie, c’est aussi parce qu’il soulignait les grandes disparités historiques entre l’intérieur du pays et son littoral, entre le sud plus pauvre et le nord, et mettait en lumière le désintérêt de l’État pour certaines régions.
“Entre réalisme et fantastique, le réalisateur a réussi à faire d’un drame familial une incarnation de la démission de l’État vis-à-vis des populations des régions défavorisées, en les exposant au terrorisme, mais aussi à la pauvreté”, qui fait le lit de ce même terrorisme, écrit L’Économiste maghrébin. Le cinéaste “tenait à mettre en lumière cet événement marquant, contre l’oubli”, estime le quotidien La Presse.
Courrier international est partenaire de ce film.