Au Cachemire, la nostalgie en partage



Depuis 1947, le peuple balti est séparé entre l’Inde et le Pakistan. Alors que les tensions sont très vives entre les deux pays, il lutte pour préserver son identité et utilise la poésie et les réseaux sociaux comme armes de résistance culturelle. État des lieux côté indien.

Au bord de la piste poussiéreuse qui relie Turtuk, dans la vallée de la Noubra, au village de Thang, à 2,5 kilomètres à peine de la Ligne de contrôle [la frontière de facto qui sépare au Cachemire l’Inde du Pakistan], une inscription sur un rocher massif avertit celui qui passe par là : “L’ennemi vous surveille”. Un peu plus loin sur la piste, d’autres rochers portent les mots d’un poète cher au cœur des Baltis, Qurban Ali, qui vécut entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Un poète qui a écrit sur l’amour, le désir et la vie des Baltis.

D’aucuns trouveront ces inscriptions incongrues, mais pour le peuple balti, qui vit dans certains des villages les plus au nord de l’Inde [ainsi que du Pakistan], elles illustrent les conséquences palpables du conflit indo-pakistanais et les réalités impalpables de sa séparation : c’est un peuple qui navigue dans un présent divisé tout en se raccrochant à un passé commun.

Une douleur transmise entre générations

Depuis l’indépendance en 1947 [quand l’Empire britannique des Indes a été scindé pour donner naissance à l’Inde (laïque, à majorité hindoue) et au Pakistan (une république islamique)], la Ligne de contrôle qui sépare les deux pays a été modifiée à plusieurs reprises, et, chaque fois, le peuple balti a dû se déplacer avec elle. La première “partition” du Baltistan a eu lieu en 1948 [au terme de la première guerre indo-pakistanaise, menée pour la possession du Cachemire]. Puis, après la deuxième guerre indo-pakistanaise, en 1965, les habitants du village de Dreyloung, à 25 kilomètres de Kargil, en plein sur la ligne de feu, ont été déplacés à Latoo. La ligne de démarcation a pour la dernière fois été modifiée pendant la guerre indo-pakistanaise de 1971, il y a près de cinquante ans.

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Le 12 décembre 1971, comme d’ordinaire sur ces terres inhospitalières, la rude nuit hivernale était tombée tôt sur Turtuk, qui faisait alors partie de la région du Gilgit-Baltistan, administrée depuis 1948 par le Pakistan. Une petite fille de 5 ans, Rahim Bi Ashoor, s’accrochait à sa maman qui se précipitait paniquée, en pleurs, à travers les étroites rigoles. Les bombardements dans le village voisin de Chalunka s’intensifiaient au fil des heures. “Je ne le savais pas à ce moment-là, mais ma mère cherchait mon frère aîné, qui faisait partie de l’armée pakistanaise”, se rappelle Ashoor, aujourd’hui âgée de 56 ans.

Un enfant de 5 ans est trop jeune pour se souvenir des tenants et aboutissants politiques d’une guerre, dit-elle. Sa douleur, en revanche, se transmettra à des générations et des générations. “Nous avons fini par le retrouver. Il s’est caché avec nous pendant une semaine dans des grottes, raconte-t-elle :

Mais des soldats indiens sont venus dans notre village. Ils seraient parvenus à l’identifier à cause des armes qu’il avait sur lui. Et ils l’auraient tué. Nous avons dû le laisser partir.”

Des poèmes pour rester soudés

Le 13 décembre 1971, les habitants de cinq villages baltis – Turtuk, Thyakshi, Thang, Pachathang et Chalunka – se sont réveillés en Inde, rejoignant d’autres villages baltis comme Karkitchoo, Hardas et Hundurmaan, qui étaient déjà passés du côté indien. La ligne de partage avait encore été déplacée. Et certains villages, trop proches de celle-ci, allaient rester coupés de l’administration indienne et pakistanaise pendant des décennies – Turtuk n’a ouvert ses portes aux touristes indiens qu’en 2010, soit près de quarante ans après la guerre.

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Aujourd’hui, la majorité des 500 villages où vit le peuple balti se trouve au Pakistan. Quelque 9 000 familles vivent séparées. Et, cinquante ans plus tard, le souvenir de la séparation reste vif. À noter que, en Inde, il existe aussi des petits groupes baltis dispersés à travers l’État de l’Uttarakhand [plus au sud], dans des régions comme Chakrata et Kalsi Gate ; ils s’y étaient installés pour travailler comme ouvriers du bâtiment pour les Britanniques. Selon une étude menée en 2008, l’Uttarakhand comptait alors près de 2 500 Baltis.

En dépit de la partition, le peuple balti est resté soudé. Notamment grâce à sa culture et à sa poésie. “Ma famille, ma terre, ma langue se trouvaient de l’autre côté, au Pakistan, après la partition, mais, moi, je suis resté en Inde, explique le grand poète balti et militant Bashir Wafa, qui a grandi à Kargil :

Il nous reste encore notre culture. Maintenant que tout est cassé, que tout a éclaté, il nous reste notre poésie, nos rituels, nos histoires et notre histoire. C’est ce qui nous aide à survivre. C’est ce qui nous unit.”

“Vivre, c’est bâtir une maison sur un rocher glissant”

Voilà pourquoi la poésie de Qurban Ali demeure si vivante. Il est né en 1846 dans le village de Turtuk, qui faisait à l’époque partie de l’État princier du Jammu-et-Cachemire [un État dirigé par un monarque local qui avait prêté allégeance à la Couronne britannique, et qui, à ce titre, jouissait d’une relative autonomie]. Turtuk était une oasis commerciale, culturelle et agricole au milieu des montagnes du Karakoram. Ce village situé sur la route de la soie produisait des abricots et du sarrasin, que ses habitants échangeaient contre de l’huile, du riz et d’autres produits essentiels. En 1935, le maharaja a cédé la région aux Britanniques et, après la partition,

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Asmita Bakshi

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Contexte

UN CONFLIT À SOMME NULLE

Revendiqué par l’Inde, le Gilgit-Baltistan correspond à la plus grande partie du Cachemire passée en 1948 sous administration pakistanaise. Le 1er novembre 2020, Imran Khan, Premier ministre du Pakistan, a annoncé son intention de “réformer la Constitution” pour faire de ce territoire autonome “une province à part entière” de son pays, raconte The Express Tribune, un quotidien de Karachi. Quinze jours plus tard, son parti, le PTI, gagnait haut la main les élections régionales qui s’y tenaient.

Ce prochain changement de statut est interprété comme une tactique électorale, mais aussi comme une riposte à la mise sous tutelle de la partie indienne du Cachemire par le gouvernement Modi, en août 2019, et à sa scission entre le Ladakh et le Jammu-et-Cachemire. “L’Inde s’oppose à l’octroi du statut de province au Gilgit-Baltistan, considérant que ce dernier est une partie intégrante de l’Inde”, souligne l’hebdomadaire indien The Week.

Présents des deux côtés de la Ligne de contrôle qui coupe le Cachemire en deux, les Baltis ne se sont pas vu demander leur avis sur l’une et l’autre de ces initiatives.

Source

Fondé en 2007 par HT Media Ltd, l’une des plus importantes sociétés multimédia indiennes, en collaboration avec The Wall Street Journal, le titre est le concurrent direct du plus vieux quotidien économique du pays : The Economic

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